jerome
                          peignot

 « Mon site sur Internet ?
 Mais tu veux rire ?
 J’ai 99 ans, tout de même ! »

 Jérôme Peignot
 (xjeromepeignot@free.frx)

 

 

 

 

 

<< Déjà parus: livres
<< Déjà parus: articles
<< Biographie
<< Revue de presse
<< Audiographie
<< Filmographie
Vu par Aline Rollin >>
Vu par S. Bassouls >>
Fiche Wikipedia >>

Jérôme & Cie

 

Préface de Jacques Lang. Les Histoires de Jérôme

Je me souviens avec une infinie précision de cette première rencontre fortuite et qui fut pourtant le début d’une admiration, amitié et collaboration culturelle si forte. Nous étions quelques semaines après l’élection de François Mitterrand, le 10 mai 1981. La scène se passe au ministère de l’Intérieur où Gaston Defferre vient d’être nommé. Son épouse, Edmonde Charles-Roux, me présente Jérôme Peignot, m’assurant qu’il est intarissable sur l’imprimerie et la typographie françaises, passionné passionnant et réel puits de savoir. À cette époque, il a déjà publié plusieurs ouvrages et je le connais de réputation. Je comprends instantanément qu’il s’agit de quelqu’un de profondément sérieux. Nous bavardons le temps d’un instant et je lui demande de venir me voir au ministère de la Culture afin de poursuivre nos échanges. C’est là qu’en guise d’entrée en matière il me raconte la folle histoire de « l’espion » Beaumarchais, l’amour que portait Voltaire aux poinçons de Baskerville dont il me retrace avec détails les pérégrinations historiques. Il était fascinant de l’entendre relater la découverte par son père Charles Peignot en 1968, au détour d’une promenade sur les quais, chinant dans les caisses des bouquinistes, des précieuses matrices de Baskerville. Jérôme donnait, plus que nul autre, l’envie de s’éprendre à notre tour de la typographie et de son patrimoine.

Peu à peu, après la publication de son fameux livre De l’écriture à la typographie dans la collection Idées de Gallimard, puis de Calligramme aux Éditions du Chêne et De la Calligraphie chez Damase, Jérôme est convié par ses futurs collègues de la Faculté d’Arts plastiques de la Sorbonne à y enseigner l’écriture. Un mouvement général venait de briser les carcans parfois exigus de l’Enseignement public. Comment refuser ? Engagé dans cette cause depuis plusieurs années, il ne fallait pas s’arrêter en si bonne voie ! Neuf années durant, Jérôme enseigna à Saint-Charles. On se délecte de le voir évoquer dans ses nouvelles, non sans nostalgie et humour, certains épisodes de ses cours. Exemple criant de vérité, il mesurait déjà à cette époque l’expansion parfois néfaste de l’informatique auprès de ses élèves, certains considérant « ringard » l’écriture des livres.

Je veux m’attarder plus amplement sur Jérôme et son enseignement. C’est un véritable conteur, collectionnant par milliers les petites histoires : « Vous vous souvenez peut-être que vous m’avez dit un jour que si je passais un doctorat d’État sur travaux au sujet de l’écriture et de la calligraphie, cela vous aiderait à créer une filière d’enseignement. » Absolument, fis-je. « Eh bien, ce doctorat je l’ai passé. » J’étais stupéfait. Jérôme ne laissait rien passer, œuvrant sans relâche au rayonnement de sa discipline, de son art.

Lors de nos nombreuses discussions, il m’explique notamment la genèse de son livre Moïse, ou la preuve par l’alphabet de l’existence de Yahvé. Comment, lors de sa soutenance, l’interrogation que suscite son expression « Les linguistes traîneront toujours Dieu comme un boulet » le pousse à développer son postulat. À ce sujet, il me confesse qu’à la faveur d’une émission de France Culture au sujet de l’exposition intitulée La Naissance de l’écriture au Grand Palais en 1982, il réaffirme sa conviction que les Tables de la Loi et l’Alphabet sont une seule et même chose. À peine a-t-il terminé sa phrase que Jean Bottéro, l’auteur de Babylone et la Bible, s’insurge contre lui, qualifiant ses propos de sornettes. Ce dernier explique son geste par la simple volonté de le protéger de stériles polémiques mais confirmant par la même occasion sa pensée.

Je n’ai évidemment pas oublié le beau Pierre Leroux, inventeur du Socialisme de Jérôme. À croire qu’il l’avait écrit pour moi ! En le lisant, je me suis souvenu que Pierre Leroux était un typographe, un député de Paris doublé d’un philosophe et l’auteur d’un ouvrage intitulé De l’Humanité, de son principe et de son avenir. Ce dont j’avais gardé le souvenir et ce à quoi Jérôme faisait référence, tenait aux fameux banquets typographiques interdit : Leroux y avait bel et bien tenu tête à Napoléon III et témoigné de la vigueur de l’esprit démocratique face à la dictature. Enfin, j’avais gardé en mémoire son admirable discours sur Gutenberg. Sans doute était-ce un peu grandiloquent, mais beau, très beau même.

Issu d’une famille de fins lettrés, la tante Colette de Jérôme, plus connue sous son pseudonyme Laure a écrit « Qu’est-ce qu’une conviction non prouvée ? ». Avec son livre sur Leroux, Jérôme témoigne d’un travail important conduit de main de maître. Rien à voir avec l’œuvre d’un bourgeois au socialisme de façade. La lecture des écrits de Leroux requiert un effort certain, il ne peut avoir été produit par un dilettante. Au reste, au moment du démantèlement de la rue de la Convention où se trouvait l’Imprimerie nationale, les ouvriers ont fait du « fils Peignot » l’un, sinon le premier, de leurs défenseurs efficients. On ne peut oublier Grandeur et misères d’un employé de bureau, publié chez Gallimard et dont Jérôme est l’auteur. Ce livre relate la grève perlée, la pire de toutes, qu’il conduit en tant que représentant du personnel à Sélection du Reader’s Digest. Si la grève en question se termine brillamment, elle se solde aussi par le renvoi de son instigateur. Sans emploi, Jérôme traversa des moments difficiles qui l’amenèrent, grâce à des amis, à entrer à l’ORTF, où cinq années durant il travaille aux émissions culturelles Le Masque et la Plume, Les Chemins de la Connaissance et Les Nuits magnétiques.

Outre ses combats politiques et son profond intérêt pour l’écriture et la typographie, j’ai découvert plus récemment, loin de m’en étonner, que Jérôme est avant tout un écrivain. Je ne ferai pas ici de commentaires sur ses livres, dont la lecture est toujours source de ravissement. D’autres l’ont fait bien mieux, dont les textes sont reproduits dans les pages de cet ouvrage. Au reste, à elle seule, la décision de Jean-Sébastien Gallaire de bâtir un tel livre sur l’héritage de Jérôme envoie un message puissant. Je remercie les Éditions Les Cahiers de s’être engagées à soutenir son œuvre. Ce livre est une révélation.

On croyait connaître Jérôme Peignot, son ascendance – on le désigne souvent comme « fils de Charles » – dont on comprend la trajectoire de vie. Mais qui a lu, ou se souvient encore, de ses portraits d’écrivains dans les cahiers de la NRF ? « Écrire c’est dessiner le drapeau de son nom », écrivait-il dans Henry Miller ou le Juif manqué, NRF, 1964. Car Jérôme scrute l’écriture, la langue, les tortures intimes des écrivains, dialogue avec eux à la lumière de sa propre pensée…

Se dévoile au fil des récits l’influence de sa famille qui marque nombre de ses œuvres. Sa mère cantatrice, liée au Groupe des Six, a charmé ses oreilles d’enfant, l’a conduit à se passionner pour la musique concrète et à inventer pour la définir le mot « acousmatique », puis, longtemps plus tard, à nous bercer de ses sonnets. Jeux de l’amour et du langage soulève avec brio le rapport entre le mythe de l’Androgyne et la gémellité de Jérôme avec sa sœur Sophie, présence utérine intense et inatteignable, comme le seront ses amours ?

Devant son attitude farouche contre Internet, qui penserait découvrir en Jérôme un défenseur de la photocomposition et de l’écriture informatique, libérant les ouvriers du Livre des contraintes du plomb ? (« La Lumitype va-t-elle créer des écrivains typographes ? », octobre 1956)

Ce recueil exclusif de textes inédits ou inaccessibles met le lecteur au cœur de l’intimité de l’écrivain. On se fait spectateur et témoin de son introspection à travers l’écriture des autres, de son engouement sincère pour l’autobiographie et de l’importance de ses écrits pour les autres. On y perçoit l’essence de ses recherches sur la forme des lettres et leur agencement au cœur des mots, révélant l’identité même de celui qui écrit. Réside, plus que jamais au cœur de ces pages, lignes, valse lettriste, l’importance pour lui de la relation écrivain-imprimeur. Ses analyses de Mémoires d’écrivains préfigurent d’une certaine manière les Portraits en miroir.

Tel est le portrait de Jérôme, comme personne ne l’a encore lu.

Jack Lang

peignot jerome et compagnie - couv

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Préface, par Jacques Lang
 Feuilleter les premières pages